Les mycologues francs-comtois
La Franche-Comté est un berceau de la mycologie et la tradition mycologique y perdure toujours, les mycologues actuels poursuivant la découverte des milieux et la description de nouvelles espèces à la suite de leurs illustres prédécesseurs. Nous avons voulu ici rendre hommage à quelques figures historiques de la mycologie franc-comtoise, lesquelles nous ont permis par leurs travaux de disposer de bases scientifiques de grande qualité pour élaborer ce catalogue. Voici, pour chacun de ces mycologues, une courte présentation et une synthèse de ses principaux apports à la mycologie.
Frédéric Bataille (1850-1946)
Natif de Mandeure (25), instituteur de son état, il aime profondément la nature qu’il dépeint dans des poèmes de très bonne facture. Trois mots caractérisent parfaitement l’homme : « éducateur, poète, mycologue ». Après avoir fait la connaissance du Docteur Quélet qui devient son maître en mycologie, il écrit en collaboration avec lui son premier ouvrage , la flore monographique des amanites et des lépiotes. En 1899 il entre à la Société Mycologique de France et publie entre autre : « flore analytique et descriptive des hydnes terrestres d’Europe », « les réactions macro-chimiques chez les champignons » …En 1905 il prend sa retraite et se retire à Besançon. Dés lors il se consacre tout entier à sa passion, la mycologie. Sa réputation s’étend à tout le vieux continent, notamment par ses travaux sur les réactifs chimiques comme moyen de détermination qui font figure de référence. Il est le premier à observer la ligne rouge qui se forme entre la chair et les tubes quand on coupe Boletus luridus, caractère qui peut éviter une confusion avec Boletus queletii et B. erythropus. Cette ligne rouge porte son nom : ligne de Bataille. Une clavaire lui est aussi dédiée : Ramaria bataillei (R. Maire) Corner.
Georges Becker (1905-1994)
Né à Belfort en 1905, il fait de brillantes études et soutient à l’âge de 26 ans une thèse sur l’écologie des champignons supérieurs. Ce document s’avère riche en observations et hypothèses parfois audacieuses et sert aujourd’hui encore de référence pour les études concernant l’écologie des Mycota. Poète, pianiste, écrivain, Georges Becker est ce qu’on appelle un érudit. Il s’installe très tôt à Lougres, et ce havre de verdure suscite sa vocation mycologique (à cause des " boules de neige "). Il publie de nombreux ouvrages et articles dans des revues scientifiques, dont les « champignons de Franche-Comté », « la mycologie et ses corollaires », « la vie privée des champignons ». Naturaliste averti, il observe avec un regard neuf le monde qui l’entoure et se pose des questions essentielles, ce qui lui permet d’expliquer nombre de problèmes soulevés par le monde fongique. Il apporte à la mycologie une nouvelle approche, presque métaphysique. Il y a chez lui à la fois la rigueur scientifique et la passion de communiquer du vulgarisateur. Georges Becker fait de la mycologie une science populaire au service de tous. Ainsi son érudition mycologique, sa vaste culture, et surtout son style imagé et séduisant auront beaucoup apporté à la mycologie moderne. On lui doit plusieurs découvertes dont celles d’Agaricus heimii, Hygrophorus poetarum et penarius var. barbatulus. Il fut président de la Société Mycologique de France de 1975 à 1978 puis président honoraire. Le grand Mycologue Roger Heim le surnomma «le magicien de la mycologie », un hommage marqué avec aussi l’amanite qui lui a été dédiée : Amanita beckeri Huijsman.
Robert Henry (1906-2001)
Après s’être lié d’amitié très tôt avec Frédéric Bataille qui l’initie à la mycologie ainsi qu’à la poésie, il soutient en 1931 une thèse de doctorat sur le sujet suivant : « considérations anciennes et modernes sur les intoxications fongiques ». Après la guerre il ouvre un cabinet médical à Vesoul (70) et partage son temps entre son métier et sa passion. Il est encore à ce jour le seul mycologue ayant consacré toute sa vie à l’étude intégrale du genre Cortinarius. L’œuvre d’Henry est prodigue et déroutante à la fois, tant elle est colossale et multiple. Ses travaux, basés sur l’observation acérée et l’obstination (et c’est qu’il en fallait pour être le pionnier dans l’étude des cortinaires) ont connu des détracteurs. Sans doute ceux-ci n’ont ils pas eu cette obstination de Franc-comtois et ce degré de sympathie pour ce genre réputé difficile pour comprendre le fond des travaux de ce grand mycologue. Le docteur Henry a publié tout au long de sa vie dans diverses revues scientifiques plus de trois mille pages et plusieurs centaines de nouvelles espèces. Il reste de manière incontestée le plus grand « cortinariologue » de tous les temps et a essaimé auprès de disciples sa passion pour les cortinaires. Il est aussi à l’origine de la mise en place des « journées européennes des cortinaires » qui connaissent un succès croissant. Plusieurs espèces lui sont dédiées, dont tout naturellement un Cortinaire : Cortinarius henryi Rem.
Louis Hillier (1869-1962)
Véritable autodidacte, il se consacre tout d’abord à l’étude des mousses puis il s’attache à celle des champignons. Il publie de nombreuses observations mycologiques surtout à dessein d’éduquer le grand public. Celles-ci paraissent durant une quinzaine d’années dans l’almanach du petit comtois. Un cortinaire porte son nom : Cortinarius hillieri R. Henry.
Léon Joachim (1873-1945)
Ce pharmacien natif de Belfort fonde une officine non loin de la ville du lion et consigne de nombreuses observations concernant la fonge de son département avant d’aller s’installer à Auxerre. Durant cette période il met au point sa thèse : « contribution à la flore mycologique du Territoire de Belfort. Catalogue raisonné des champignons qui y croissent » qu’il soutient en 1914. Il devient membre de la Société Mycologique de France et est élu président en 1926. Membre actif, excellent connaisseur des cortinaires et des champignons hypogés, remarquable par la sûreté de ses déterminations sur le terrain, il publie peu. Son sens olfactif affiné par l’exercice pharmaceutique est d’une acuité et d’une sûreté étonnantes dans les comparaisons des odeurs et leur discrimination. Malheureusement, seules quelques observations à ce sujet sont notées en marge de sa flore de Quélet, les autres ne l’ayant été que dans sa mémoire. Un tricholome rare porte son nom : Tricholoma joachimii Bon & Riva.
Paul Maillot (1907-1981)
Ce mycologue de Valentigney (25) est initié à la mycologie par François Margaine et devient un déterminateur émérite. Il met avec beaucoup de dévouement ses talents au service des sociétés naturalistes de Franche-Comté mais aussi de Suisse et d’ Alsace et devient l’un des membres fondateur de la Société d’Histoire Naturelle du Pays de Montbéliard. Il publie quelques études sur les clitocybes, les cortinaires et les hygrophores.
François Margaine (1900-1970)
Déterminateur rigoureux et prudent, François Margaine ne laisse pas de place au hasard, mais c’est surtout dans ses icônes mycologiques qu’il montre une verve extraordinaire. Sa technique originale et encore non imitée témoigne d’une faculté d’observation prononcée associée à une sorte d’appariement avec les champignons. Il utilise tous les procédés possibles en même temps. Le fond est aquarellé, souvent rehaussé de gouache, de crayon de couleur, de traits à la plume. Ainsi sont suggérés les matières, les consistances, le toucher et le tout concourt à rendre l’image du champignon tel qu’il est. L’homme d’Hérimoncourt (25) laisse environ quelques 2500 icônes mycologiques qui constituent une référence exceptionnelle pour tous les mycologues.
Georges Métrod (1883-1961)
Né à Dole (39), ce mathématicien brillant, excellent maître et pédagogue, vient à l’étude des champignons pour oublier la guerre et parce qu’il voue quelque intérêt à cette discipline en raison de l’activité mycologique foisonnante en Franche-Comté à l’époque. Il dessine et étudie de nombreuses espèces avec beaucoup de rigueur dans le vocabulaire descriptif et le trait. Ses principales études portent sur les collybies, les marasmes, les tricholomes, les clitocybes, les plutées, les hygrophores et les inocybes. Roger Heim sollicite d’ailleurs sa collaboration à la flore mycologique de Madagascar, concernant la partie relative aux mycènes. Ses notes, son herbier et ses dessins au trait constituent un héritage de grande ampleur pour le mycologue moderne. A sa mort, Georges Métrod lègue sa maison de Champagnole à la Société Mycologique de France, laquelle a publié la plupart de ses travaux et de ses espèces nouvelles. Plusieurs espèces lui sont dédiées dont Ripartites metrodi Huijsman.
Narcisse Théophile Patouillard (1854-1926)
Ce jurassien est un mycologue passionné depuis son plus jeune âge. Cofondateur de la Société Mycologique de France, il en devient le président en 1881 et président honoraire en 1902. Il s’installe comme pharmacien d’officine à Paris et commence sa collaboration au muséum avec Louis Mangin et Paul Hariot au laboratoire de cryptogamie. Il est nommé correspondant au muséum et en 1922, assistant délégué à la chaire de cryptogamie. C’est un classificateur d’un esprit synthétique remarquable qui élabore toute une taxonomie sur la base des caractères des cystides, des basides et des spores. Mais l’homme n’est pas seulement un déterminteur et taxonomiste car il publie plusieurs essais de systématique évolutive. Il écrit également « Les champignons comestibles et vénéneux du Jura » en 1883. Dans ses « Tabulae analyticae fungorum » il représente les 1000 espèces décrites par des dessins magnifiques souvent rehaussés d’aquarelles. Son œuvre scientifique est considérable : plus de 120 publications concernant des champignons du monde entier. En sa mémoire on citera Inocybe patouillardii Bresadola.
Lucien Quélet (1832-1899)
Né à Montécheroux (25), il s’installe à Hérimoncourt où il partage sa vie entre sa profession de médecin et sa passion pour les plantes phanérogames et surtout cryptogames. Il publie tout d’abord dans les mémoires de la Société d’Émulation de Montbéliard le catalogue des mousses, sphaignes et hépatiques des environs de Montbéliard. Puis, attiré peu à peu par l’étude des champignons, il y consacre tous ses loisirs. Précis, méthodique et observateur, travailleur acharné, il devient bientôt un grand mycologue. Son premier ouvrage, « les champignons du Jura et des Vosges », est publié par la Société d’Émulation de Montbéliard. Progressivement son autorité et sa maturité s’affirment. Il émet ses propres idées, s’écartant de la classification de Fries. Son œuvre maîtresse, la « flore mycologique de la France et des pays limitrophes », publiée en 1888, bouleverse les données de l’époque et fait de lui un précurseur dans la classification des champignons du XX ème siècle. Jusqu’à sa mort il ne cesse de travailler aux compléments (au nombre de 22, accompagnés de fort belles planches) de son premier ouvrage tout en mettant au point, avec la collaboration de Frédéric Bataille, les monographies des principaux genres. Il est aussi l’un des promoteurs et fondateurs de la Société Mycologique de France dont il devient le premier président puis président d’honneur. Ses ouvrages appréciés en font un des maîtres de la mycologie européenne. Nombre d’espèces lui sont dédiées, parmi lesquelles Helvella queletii, Boletus queletii et Russula queletii.